Un automne flamboyant dans les Abruzzes
Récit d'un trip vélo automnal de 10 jours dans le massif des Abruzzes en Italie. Cette échappée frisquette, à l'heure où la nature se pare d'incroyables couleurs est un morceau choisi du long périple entrepris par 3 vététistes pour traverser l'intégralité de la chaîne des Apennins en mode B.U.L (Bivouac Ultra léger).
TEXTES
Géraldine BENESTAR
PHOTOS
Pascal GAUDIN
ILLUSTRATION
Céline OLLION TOSCANI
À la mi-octobre, après avoir chargé mon vélo dans le train à Chambéry, je prends la direction de l’Italie et me retrouve quelques 8 heures plus tard à Spoleto, petite bourgade du Sud de l’Ombrie. De là, je dois rejoindre mon compagnon et 2 amis vététistes qui ont entrepris de traverser l’intégralité de la chaîne des Apennins, colonne vertébrale montagneuse occupant la péninsule italienne sur près de 2000 km. Le trio est déjà en route depuis plus d’un mois, mais après avoir affronté une météo exécrable durant plusieurs jours, un saut de puce en train pour aller plus au Sud s’est imposé. Je devais les rejoindre en Toscane… ce sera finalement les Abruzzes.
En partant, je n’avais qu’une idée vague de l’aspect de ces montagnes. Quand on vit dans les Alpes, on a déjà beaucoup à faire pour arriver à dessiner les contours de cette longue chaîne et ses nombreux massifs… En dehors de la chaîne alpine, on a du mal à se dire que l’Italie est un pays montagneux… et pourtant !
Après une nuit à Spoleto, j’accroche mon vélo à l’arrière d’un bus pour Norcia où je retrouve les vététistes. Nous célébrons les retrouvailles autour d’un fameux chocolat chaud italien (qui tient dans la cuillère) et faisons quelques courses. Norcia est déjà un premier choc ! Les façades d’un grand nombre de bâtiments sont lourdement ceinturées d’un tissage de barres métalliques. La terre a tremblé ici en août 2016 (puis à nouveau en octobre), avec un épicentre situé à moins de 10 km. Les nombreuses secousses ont fait des dégâts dans toute la région (ainsi que de nombreuses victimes). Alors que nous nous éloignons du bourg, nous croisons d’importants alignements de mobilhomes où la population a été relogée. À la façon dont les abords sont arrangés, on sent que le provisoire est devenu définitif et que les personnes déplacées ne sont pas prêtes à retourner habiter dans des bâtiments en dur…
La première nuit de bivouac s’est révélée plutôt “fraîche” puisqu’au lever du jour le givre a tout congelé, de la fermeture de la tente aux vélos couchés dans l’herbe, ainsi que les baies et les buissons alentours. L’hiver est en route et les sommets lointains sont d’ailleurs déjà poudrés de blanc. Je me réjouis d’avoir rajouté quelques petits extras à mon équipement de base : un drap en soie, des chaussettes en laine, une veste gore-tex neuve…
Notre matinée est occupée à quitter la vallée de Norcia en franchissant un premier contrefort dont le sommet est formé d’une belle bosse herbeuse, caractéristique des reliefs de l’Ombrie. Depuis ce belvédère, la chaîne des Abruzzes se dévoile en version panoramique. Nous élisons le lieu comme emplacement de pique-nique pour avoir le loisir, tout en picorant du speck et du pecorino, d’admirer ces montagnes qui ont fière allure ! Au loin le plus haut sommet, Corno Grande, culmine à un peu plus de 2900 mètres d’altitude. L’automne est bien installé, une belle lumière est au rendez-vous et les arbres ont déjà pris leurs teintes chaudes.
Hier soir nous avons vu défiler près de 200 sangliers à une cinquantaine de mètres de nos tentes et ce matin nous nous sommes fait réveiller aux aurores par les claquements de porte des 4×4 et quelques coups de fusils… Aujourd’hui, nous traversons à nouveau des villages secoués par le tremblement de terre dont les maisons sont restées telles quelles. La vie semble avoir quitté quelque peu les lieux.
Une multitude de pistes et sentiers sympas nous ont finalement poussés au bord du lac de Campotosto. Avant de poser notre bivouac, nous nous sommes réfugiés au chaud dans le café du village de Mascioni où les papis locaux jouaient aux cartes. Un brin de toilette sur la rive pour moi, quelques brasses pour les plus courageux, voyager en conditions automnales n’est finalement pas si difficile, si l’on peut s’offrir un petit feu de camp salvateur. Au matin, tout est à nouveau pris par le gel, les nuages de la veille se sont éclipsés, l’air est limpide et les sommets nous toisent. Le blanc claque sur un bleu parfait, les jaune et rouge des feuillages magnifient la scène… pour un pur moment de grâce !
Pendant que les garçons se régalent d’une pure descente VTT dans une forêt de conifères, j’emprunte une route étroite et sauvage en lacets jusqu’au charmant village de Capitignano. Nous nous y retrouvons pour un pique-nique plein soleil devant l’épicerie. Même si les ruelles paraissent bien vides hors saison, nous trouvons toujours de quoi nous ravitailler : de petites boutiques “dans leur jus”, tenues par des mamies chaleureuses, recèlent tout ce qu’il faut, de la charcuterie au fromage, en passant par quelques légumes et conserves.
Capitignano se situe en bordure du Parc national du Gran Sasso e Monti della Laga, l’un des 3 Parcs Nationaux protégeant les richesses naturelles exceptionnelles du massif des Abruzzes qui a acquis le titre de “Région verte de l’Europe”.
Nous quittons Capitignano par une rude montée en forêt débouchant dans une magnifique vallée où paissent des troupeaux de chevaux en totale liberté. Puis nous nous élevons jusqu’à un col et entrons dans un vaste paysage d’alpages. Des vaches, elles aussi libres comme l’air, s’ébattent dans les prairies aux teintes automnales. Elle ne semblent gardées que par de grands chiens blancs couchés lascivement non loin de la route. Alors que nous faisons une pause, l’un d’entre eux, affublé d’un collier anti-loup aux pointes bien visibles, vient nous voir tranquillement et s’allonge en réclamant des caresses.
Ce chien de berger est un Maremme Abruzzes, une race locale au tempérament protecteur, particulièrement intelligent, indépendant mais dévoué à son maître et réputé pour sa sociabilité. Ici la présence du loup ne date pas d’hier… et si les bovins et les équidés sont laissés libres, les moutons sont toujours surveillés comme le lait sur le feu par des bergers et leur équipe de molosses. Quand nous taillons un brin de causette avec les gardiens de troupeaux de moutons, tous parlent du loup avec un certain respect dans la voix, évoquant l’intelligence supérieure de l’animal, semblant l’accepter comme faisant partie de leur environnement.
Nous finissons la journée en jouant à cache-cache avec un sentier joueur qui descend le long d’un étroit vallon. Une prairie bien plate, bordée par une forêt qui respire la sérénité, nous appelle à planter le camp sous la protection de noyers gigantesques. Réutilisant un foyer existant nous préparons notre popote, morceau exquis de la vie en plein air. Au petit matin, Pascal et Alain ont réactivé le feu de la veille et nous ont préparé des galettes toutes chaudes cuites directement sur les braises… un vrai festin et le bonheur des choses simples !
Reprenant notre chemin, nous enfourchons nos vélos pour la suite de notre sublime descente, alternant ancienne piste en sous-bois, et chemin étroit le long du ruisseau. Les maisons d’Assergi, blotties derrière des remparts, surgissent bientôt au pied de versants imposants. Midi sonné, nous jetons notre dévolu sur une gargote du village, convaincus par le patron qui nous installe avec chaleur sur sa petite terrasse (et nous ne sommes pas déçus !) Il nous apprend que le centre s’est complètement vidé suite au séisme de 2009 (celui de 2016 n’ayant pas fait de dégâts), les gens ont peur de revenir…
Repus, nous repartons pour 900 mètres de dénivelé positif tantôt sur route, tantôt sur chemin. Prenant de l’altitude, une lumière d’automne magique nous accueille pour la traversée de grandes plaines dorées et de cols aux courbes douces. Des ambiances dignes de la Kirghizie… Des sommets fraîchement poudrés émergent, nous sommes tellement heureux d’être là ! Jamais nous n’aurions imaginé de si beaux paysages de montagne dans cette partie de l’Italie. En chemin, nous papotons avec un berger qui veille sur ses 110 brebis avec ses 6 chiens costauds.
Nous traçons jusqu’à San Stefano di Sessanio, superbe village perché où chaque ruelle est une carte postale. Au coucher du soleil devant un bar à vin, nous discutons en français avec un Italien ayant vécu 33 ans en Belgique… et un retraité français d’origine italienne qui revient ici plusieurs mois par ans. Ici tout le monde se connaît et blague. C’est l’ambiance hors saison, il n’y a plus de touristes ! Nous posons le camp tout près du village à côté du petit lac. Les villageois nous ont promis la visite des sangliers cette nuit, nous n’entendrons finalement que l’aboiement d’un chevreuil.
Nous quittons le sympathique village de San Stephano di Sessiano en nous faisant la promesse de revenir… À mesure que nous perdons de l’altitude, passant de 1509 à 450 mètres, nous sentons les températures remonter. Oliviers, figuiers et genévriers ont remplacé sapins, hêtres et mélèzes d’altitude.
Un passage obligatoire en fond de vallée nous plonge soudain dans un univers hideux d’usines et de viaduc autoroutiers, nous contraignant à emprunter une nationale très fréquentée sur quelques kilomètres. Un raidar nous en extrait au prix d’une bonne suée… et nous retrouvons avec bonheur l’ambiance de ces villages au charme fou.
Ce soir nous dormirons dans un champ d’oliviers, veillés par la lune qui a atteint sa rondeur parfaite. Pendant que nous causons sous les étoiles, les renards tournicotent autour du camp, espérant sans doute nous divertir pour mieux nous chaparder une denrée oubliée.
Aujourd’hui nous fêtons le premier mois de voyage des 3 garçons ! Un mois à VTT le long de la chaîne des Apennins, sur les sentiers séculaires qui relient les villages, d’une vallée à une autre, sans savoir vraiment de quoi et où sera fait demain… Une manière de se sentir terriblement libres et connectés avec le vivant, au fil des massifs traversés. Ligurie, Ombrie et maintenant les Abruzzes, avec pour fil rouge l’automne qui s’immisce jour après jour sur les versants, oxydant les feuillages dans un feu d’artifice silencieux et sage.
Nous reprenons de l’altitude pour traverser la moitié sud du parc national de Majella, criblé de sommets entre 2400 et 2800 mètres. Le contraste entre les sommets poudrés de blanc et les forêts multicolores est bluffant. Nous avons retrouvé des températures franchement plus froides qui nous incitent à des pauses moins longues. Mais ce moutonnement de couleurs remontant très haut dans les versants est féérique et nous avons la sensation de pédaler dans un véritable tableau.
Nous achevons notre journée à Pacentro, étonnant village perché dans lequel nous déambulons dans un écheveau de minuscules ruelles à peine assez larges pour un vélo. L’appel de la pizza se faisant trop pressant, nous sacrifions l’installation du bivouac de jour au profit d’une soirée en terrasse en plein centre du village. Nous trouvons à la frontale, un lieu de bivouac idyllique et sauvage au pied des remparts.
Le temps s’est bâché et l’ambiance est un peu tristounette malgré les feuillages toujours éclatants. À la sortie du parc, nous traversons Rivisondoli dont la morne ambiance tranche avec tout ce que nous avons traversé : des domaines skiables, des logements touristiques sans âmes et quelques bâtiments industriels… Heureusement, quelques coups de pédales nous permettent de nous en échapper rapidement. Nous débusquons une vallée préservée pour une soirée feu de camp et saucisses ! Au matin, la pluie nous incite à replonger dans les duvets pour une petite heure, puis nous plions le bivouac à la faveur d’une éclaircie. Une longue plaine, une grande forêt de hêtres, enfin un col à 1600 mètres nous fait basculer sur un nouveau versant. Les nappes de brouillard nous encerclent puis se déchirent. Depuis le sentier balcon que nous longeons, en nous pinçant pour y croire, nous admirons des hardes de cervidés qui évoluent dans les prairies que nous dominons… Nul doute que la période du brame du cerf a commencé. Pour prolonger le bonheur de ce beau chemin, nous décidons de pique-niquer entre terre et ciel, nous abreuvant de ce paysage changeant et hypnotisant.
Nous plongeons bientôt sur le village et le lac de Barrea, suivant un chemin en pointillé qui s’est fait dévoré par endroits par les épineux. En cherchant un coin de bivouac sur les rives du lac, nous nous arrêtons observer un cerf qui glane dans les vergers, nullement stressé par notre présence. Une fois les tentes installées, nous réalisons que nous sommes sur le pré des sangliers… mais ceux-ci ne font que passer et continuent à vaquer à leurs occupations. Au matin, alors que nous prenons le petit dej, un cerf longe nonchalamment le lac sans faire cas de nous. Nous comprenons qu’ici, faune sauvage et humains font bon ménage, partageant le même territoire en bonne entente. Nous en avons d’ailleurs confirmation en traversant le village suivant et en tombant nez à nez avec un cerf majestueux alangui sur une placette. La situation nous laisse pantois, quand ils ne sont pas chassés les animaux viennent donc naturellement au contact des humains…
Nous poursuivons notre étape par une descente délicate dans des marnes grises, puis dans un vallon tout mignon où le chemin se divise sans arrêt, un coup à droite, un coup à gauche, un vrai labyrinthe… Xavier, qui a choisi de passer sur de belles dalles calcaires, crie un grand “ours” alors que nous sentons le sol vibrer sourdement, comme un galop de cheval. Nous arrivons trop tard, mais lui l’a bien vu, un ours brun marsicain, massif, la bouche ouverte, qui s’est mis à courir à 10 mètres de lui ! Quelle rencontre !
Un dernier col ensemble par la route et je quitte les garçons qui continuent leur chevauchée des Apennins, toujours en direction du Sud pour rejoindre la Sicile. Après 10 jours dans ces incroyables montagnes, il me faut leur tourner le dos pour filer plein ouest. Une interminable descente en altitude puis une belle bosse me permettent de rejoindre la gare de Cassino, d’où je vais prendre un train pour Rome. Je pars avec une grosse envie de revenir, les Abruzzes m’ont conquise, il me tarde de les revoir à une autre saison.