CALIFORNIE, TRAVERSÉE WILD
Les voyages longs et intenses sont parfois difficile à raconter. Cela prendrait des heures... On ne le fait pas sur le coup puis le temps passe, on se dit que c'est désormais trop tard, "trop vieux". Pourtant une belle aventure ne prend pas forcément de ride ! C'est pourquoi nous ressortons des cartons la traversée intégrale de l'Ouest américain en VTT Bivouac Ultra Léger, de San Diego à Whistler avec un focus sur la partie la Californie.
TEXTES
Géraldine Benestar
PHOTOS
Pascal Gaudin
Illustration
Céline Ollion Toscani
Grâce au soutien de
L'ART DU BIVOUAC
Comment concilier voyage à VTT au long cours, autonomie et souhait de passer un maximum de temps dans les espaces de grande nature les plus wild ? La solution réside dans le choix d’un mode de voyage dit “Bivouac Ultra Léger”. Le principe étant de s’alléger au maximum pour être autonome et libre de poser son camp dans les plus beaux coins de nature. Le choix de partir avec des vélos tout supendus pour avoir de vraies sensations de pilotage, imposait donc d’avoir uniquement un bagage de guidon et de porter tout le reste sur le dos.
Durant 3 mois Jon, Pascal et Finn ont passé quasiment toutes les nuits dehors. Une vie au grand air qui demande un peu d’expérience et un dos bien musclé pour supporter quotidiennement un sac assez lourd surtout quand on passe plusieurs jours sans pouvoir se ravitailler. L’avantage d’être plusieurs est de pouvoir se diviser le poids du matériel commun : tente, réchaud, pharmacie, outils.
L’une des principales craintes était de bivouaquer au pays de l’ours. Pendant le 1er tiers du voyage nous avons pris soigneusement le temps de mettre chaque soir tout ce qui se mange (y compris le dentifrice) dans un sac étanche que l’on suspendait très haut à une branche d’arbre, à distance du tronc. Il y a eu cette rencontre à distance dans la Sierra Nevada avec un ours noir très mignon de loin (photo ci-dessus). Sur les pistes poussiéreuses, nous avons parfois vu des traces d’ours sur plusieurs kilomètres, nous confirmant que l’animal était bien présent. Et puis sur le PCT, nous avons rencontré des gars du coin qui nous ont bien expliqué qu’il n’y avait rien à craindre. Si un ours s’approchait de la tente, il suffisait de faire du bruit et il s’en irait apeuré. Nous avons aussitôt adopté cette recommandation et n’avons croisé aucun ours sur nos camps.
Le moins enthousiasmant du concept était la plongée en apnée dans les supermarchés pour faire le plein de nourriture pour plusieurs jours. Suivi de l’opération un peu laborieuse de supprimer tous les emballages pour tout re-packer dans des ziplocs afin que cela prenne le moins de place possible. Dans le best of du rapport poids/saveur, la viande de boeuf séchée et, championne de la préparation express, la graine de couscous (mise avec de l’eau froide dans un ziploc le matin, elle est prête pour le repas du midi !).
Petites et grosses bebêtes
Vivre en pleine nature pendant plusieurs semaine nous a amenés à de multiples rencontres avec la faune. Inoubliables, les poursuites en zig zag des écureuils, très nombreux, qui prenaient parfois les routes passantes pour leur terrain de jeux… avec forcément des dégâts collatéraux. Magiques, les visions éphémère des ces élégantes biches qui, après nous avoir jaugés préféraient disparaître dans le couvert forestier. Inattendu, le nombre d’espèces de serpents que nous avons rencontrés, “rattlesnakes” en tête. Malgré la dangerosité des serpents à sonnette, ces derniers ne sont pas agressifs et sont très bien adaptés pour signaler leur présence en agitant les anneaux de leur queue.
Le Pacific Crest trail, ou PCT (prononcez “Pii Cii Tii”) est un mega itinéraire de trek, parcourant l’intégralité de l’Ouest américain, depuis la frontière mexicaine jusqu’à celle du Canada. Long de 4 240 km, il suit les lignes de crêtes de la Sierra Nevada et de la chaîne des Cascades. Cet itinéraire balisé d’envergure (il faut 4 à 6 mois pour le parcourir dans sa totalité) est entretenu et abondamment parcouru. Sa renommée a désormais franchi les océans et les marcheurs sont souvent internationaux. Par sa longueur et son engagement il est bien plus qu’un grand trek, c’est une expérience de vie.
Notre chemin a souvent croisé le PCT et sur les conseils de vététistes locaux, nous nous sommes même permis d’en emprunter certains tronçons, ce qui nous a donné l’occasion de croiser quelques “piciteur” dont la longueur de barbe suffisait à nous indiquer depuis combien de temps ils étaient partis. Dans les bourgades étapes, l’ébullition était palpable autour de l’épicerie principale, souvent accolée à un bar. Les randonneurs au long cours profitaient du lieu pour refaire le plein, faire leur lessive et s’offrir une tournée de bière bien fraîche.
Les "trail angels", les anges des sentiers
En prenant conscience de l’ampleur du phénomène PCT, nous avons aussi découvert un concept inexistant ailleurs, les trail angels. Il s’agit de bénévoles qui alimentent des dépôts d’eau à destination des marcheurs du PCT. Au vu de la chaleur que nous avons expérimentée en Californie, on peut aisément imaginer qu’un trekkeur ne peut pas physiquement porter autant d’eau que nécessaire entre 2 étapes. Alors les trail angels prennent soin d’eux avec coeur, allant jusqu’à aménager de petits endroits de pause avec de délicieuses petites attentions ! Sans eux l’itinéraire serait sans doute infaisable. Mais l’intervention des trail angels ne s’arrête pas là !
Car si le PCT est une expérience qui relie profondément les marcheurs à la nature, il est aussi un facteur de lien entre les gens ! Ainsi les actions bienveillantes des trail angels sont multiples : prendre un marcheur dans sa voiture pour raccourcir une étape, le nourrir, l’héberger, lui offrir des soins… Rien n’est planifié, tout est spontané et bénévole. L’esprit est celui du “leave no trace” : pas d’aliment laissé dans la nature pour ne pas attirer les animaux sauvages. Et surtout ne pas trop en faire, pour que les personnes qui font le PCT vivent leur expérience immersive à fond ! Donc de la bienveillance avec de la mesure et une générosité bien pesée… tel est l’esprit des trail angels.
Magic Tahoe Lake
Le lac Tahoe est un joyau de la chaîne de montagne de la Sierra Nevada. Plus grand lac de montagne d’Amérique du Nord, il déploie son incroyable vert émeraude à 1900 mètres d’altitude et sur 120 km de long. Ses rives sont des lieux de villégiatures privilégiées pour les personnes fortunées de San Francisco ou du Nevada tout proche. Notre objectif est de nous extraire de l’urbanisation et de nous offrir le plus beau bivouac qui soit sur les hauteurs. Pari réussi avec un coucher de soleil aussi long que magique !
La journée du lendemain nous attend pour pour avaler les kilomètres du Flume Trail, fameux itinéraire VTT en balcon au-dessus du lac qui fait frémir les vététistes du coin et du monde entier… Un single confortable et lisse de sable blanc, des vues hallucinantes, un grand ciel bleu, nous savourons cette étape peu sauvage, mais si esthétique, à sa juste valeur.
Sécheresse et feux
Au moment de notre passage, l’État de Californie traverse l’un des pires épisode de sécheresse de son histoire. Il n’a absolument pas plu depuis 3 ans et les conséquences se font ressentir à plusieurs endroits : des zones de forêts fantômes où les arbres se dressent sans vie, les animaux sauvages qui se rapprochent des habitations, comme les biches pour aller brouter le gazon des jardins arrosés, les cougars ou les ours en manque de nourriture.
Autre conséquences : le risque très élevé d’incendies de forêts. Nous croisons à plusieurs reprises des forêts carbonisées, un triste spectacle. À la mi journée, la terre chauffée à blanc, nous contraint à des siestes obligatoires. Paradoxalement l’ombre nous paraît souvent “trop fraîche” et où nous avons presque froid…
Ici les gens que nous rencontrons ont appris à vivre avec la menace des incendies. Certains nous conseillent une extrême vigilance à la moindre fumée visible au loin et nous recommandent d’adapter notre itinéraire pour ne pas nous faire piéger. Mais la chance nous sourit car nous n’aurons pas ce désagrément au cours de notre voyage.
Depuis notre trip, si la pluie et la neige ont interrompu le cycle infernal de cette longue sécheresse, la Californie a dû affronter les pires méga-feux de son histoire. Le réchauffement climatique accentue l’effet des feux : ils sont plus fréquents, plus intenses et détruisent plus. Ces derniers deviennent incontrôlables, créant des zones de chaleur qui ne redescendent plus… Au cours des 5 dernières années, en moyenne plus de 80 000 hectares de forêts ont été détruits par an.
PRIVATE PROPERTY
Il y a parfois un fossé entre ce que l’on imagine quand on planifie un voyage… et la réalité. Nous nous doutions que la propriété privée chère aux américains pouvait être un sujet… mais pas à ce point. Ici toutes les terres appartiennent à quelqu’un et tout le monde clôture son monde au sens propre en faisant bien passer le message avec des panneaux menaçants… Certains font d’ailleurs preuve d’un humour spécial “Si tu lis ce panneau, c’est que tu es dans mon viseur”. Alors que faire lorsqu’on l’on a fait sa trace Sud Nord à travers des paysages de rêve et que chaque barrière nous refoule ? En bons frenchies, nous avons donc décidé de passer outre certaines interdictions… roulant devant les caméras de surveillance, nous persuadant qu’au fond nous ne faisions rien de mal ! Est-ce que notre passage “en mode doux” durant quelques dizaines de minutes dans ces territoires immenses allait changer la face du monde ?
Au final tout s’est presque bien passé ! Une seule anecdote croustillante : un rastaman nommé “Jah” nous a rudement accueilli avec ses molosses, prenant des airs de shérif en voulant vérifier nos identités… il a strictement refusé que l’on passe sur ses terres, nous obligeant à faire un long détour, mais on croit savoir pourquoi…
Dans le même esprit, aux États-Unis tout est réglementé au niveau des usages. Il y a des chemins pour les marcheurs, d’autres réservés exclusivement pour les vélos ou encore pour les chevaux. Les panneaux sont toujours très clairs. Cette organisation au millimètre des espaces naturels nous a laissé songeurs… Nous faisant d’autant plus apprécier le fabuleux terrain de jeu que représente le maillage des chemins historiques qui parcourent nos montagnes et nos vallées françaises. Quel bonheur de pouvoir ouvrir une carte et de savoir que l’on peut rouler quasiment partout. Une liberté précieuse, pourvu que cela perdure !
L'Amérique fantasmée
Ce voyage nous a plongé dans la Californie profonde et rurale. Celle des ranchs, des troupeaux, des bourgades perdues. Nous y avons retrouvé par petites touches des bribes de l’Amérique fantasmée, celle des grandes espaces. Nous avons été agréablement surpris par l’amabilité des personnes rencontrées, et la chaleur témoignée : maintes fois nous avons pu dormir dans des jardins, papoter avec des vététistes, assister à des petits concerts à l’ambiance détendue.
À SUIVRE… (bientôt sur Vélo Spirit) : Ce voyage à travers la Californie est un extrait de la traversée intégrale des États-Unis sud-nord. Découvrez la suite du périple à travers la Chaîne des Cascades et l’Oregon dans un prochain reportage Vélo Spirit.
Retrouvez d’autres aperçus de ce grand voyage :
– TransUs à VTT Bul : la suée vers l’ouest ! Magazine Carnet d’aventure n°50
– TransUs, un film de 28 minutes retrace l’esprit de ce voyage, disponible sur youtube