Dans la peau d'un rickshaw wallah
"Dans la peau d'un rickshaw wallah" aurait pu être le titre du livre de Jean-Louis Massard. Pendant plusieurs mois, il se métamorphose en conducteur de rickshaw afin de s'imprégner et de mieux comprendre la vie de ces fameux cyclo-chauffeurs de taxi. Son immersion se transforme en véritable coup de coeur pour le Bangladesh et ses habitants. Le conduisant à créer une association ayant pour but de faciliter le travail des rickshaws wallahs : transformer la transmission mono-vitesse des rickshaws en bi-vitesses.
INTERVIEW
Pascal GAUDIN
PHOTOS
Jean-Louis MASSARD
Grâce au soutien de
Nec consectur
Au milieu des rues de Dhaka, capitale du Bangladesh, un drôle de chauffeur de rickshaw se tourne vers l’objectif.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne passe pas inaperçu !
Comment t’es venue l’idée d’aller au Bangladesh ?
Jean-Louis Massard (JLM) :
“Au terme de plusieurs voyages en Inde. Comme souvent, des questions sur certaines populations rencontrées te viennent après. Je me suis dit : “Mais que connais-tu de la population des conducteurs de rickshaws ?”. Je m’y suis donc intéressé de près… Et tout ce que j’ai trouvé dans les guides et sur le web, ce n’étaient que caricatures. En trois lignes, on t’explique que ce sont des voleurs de touristes, etc… Bref, tout ça m’a gonflé et m’a encouragé plus encore à aller voir sur place ce qui se passe réellement. En faisant des recherches, j’ai découvert aussi que le Bangladesh était LE pays des rickshaws par excellence. Le voyage au Bangladesh était né…”
Quelles ont été tes premières impressions ?
“Le Bangladesh, j’y suis allé avec mes clichés. J’ai eu du mal au début à m’en défaire et de “comprendre enfin” que derrière chaque scène si traumatisante puisse-t-elle être, ce n’était pas la désolation que je croisais mais toujours la Vie. C’est fou comme la Vie s’agite et frétille de partout dans ce pays, quand bien même elle s’essouffle sur un trottoir providence ! Elle n’a pas de pudeur, voilà, et notre effroi à nous est peut-être là ! La chance que j’ai eu, c’est de rencontrer Jean-Jacques, un gars qui vendait sur le web un rickshaw et qui est tombé fou amoureux de mon projet de rallier à rickshaw le Bangladesh à la France. Il m’a envoyé gratuitement son rickshaw en pièces détachées pour que je puisse m’entraîner ici en France !”
Il m’a donné les coordonnées de Mustafa, un conducteur de rickshaw qui exerce à Dhaka. Je suis arrivé dans la capitale du Bangladesh un dimanche; le lundi j’étais dans une compagnie de rickshaws et le mercredi j’achetais mon rickshaw !!! Mon but était de m’immerger dans cette communauté. J’ai donc dormi d’entrée de jeu dans cette compagnie de rickshaws située entre la banlieue nord de Dhaka et l’aéroport. Elle était basée là mais les rickshaw-wallahs exerçaient plus au sud dans les quartiers les plus huppés de la ville.
Pourquoi avoir fait le choix de conduire toi-même un rickwhaw ?
Je voulais appréhender au plus près leurs difficultés et avoir un contact plus direct avec eux. Si tu fais le même voyage à vélo, le regard que les rickshaw-wallahs te portent n’est pas le même. Là, j’étais un peu des leurs, je me confrontais à la pénibilité de leur job. Et tous ceux que je rencontrais n’avaient jamais vu un étranger conduire un rickshaw. C’était la première fois qu’ils voyaient un “bideshi” (étranger) s’intéresser à eux en allant jusqu’à conduire un rickshaw et voyager avec. Ce qui m’a manqué, c’est du temps et la langue pour aller plus loin dans les conversations. Les conducteurs ne parlent que bengali et je n’ai donc pas pu allé aussi en profondeur que je le souhaitais dans nos échanges.
Faisais-tu de vraies courses où tu transportais des clients ?
Non. J’en ai pris un ou deux occasionnellement, mais le fait de voyager avec mes bagages qui faisaient 50kg et qui s’ajoutaient aux 80kg du rickshaw me suffisait ! Parce qu’à la différence de l’Inde, les rickshaws du Bangladesh sont constitués d’une partie cycle fabriquée en usine et d’une partie charrette faite d’acier et de planches de 27mm fabriquée par des artisans et l’ensemble est donc très lourd. En Inde, les fabricants font les rickshaws d’une seule pièce. Ils arrivent à des poids avoisinant les 60-70kg qui ne sont pas très loin du poids des vélo-taxi occidentaux. Au Bangladesh, c’est 80kg au minimum !
De Dhaka, tu as décidé de voyager avec ton rickshaw ?
Oui, l’idée originelle était de revenir du Bangladesh jusqu’en France en pédalant sur le rickshaw, mais à cela j’ai ensuite préféré ne voyager que sur le Sous-continent indien pour partager davantage le quotidien des rickshaw wallahs. J’ai sillonné le Bangladesh, en partie à rickshaw et en partie en camion car je voyageais avec Mustafa.
Nous étions dans des cultures et dans une approche du voyage complètement différentes et je ne voulais pas lui imposer ma manière de voyager. On a donc mis vélo et rickshaw sur un camion, pour l’Est du pays par exemple, puis on est revenu en pédalant, moi sur le rickshaw et lui sur le vélo. Après 6 semaines passées ensemble, j’ai quitté mon ami et Dhaka pour partir seul vers le sud-ouest du pays puis je suis entré en Inde. Je suis descendu sur Calcutta avant de remonter la vallée du Gange et rejoindre Delhi.
Combien de temps a duré ce voyage ?
6 mois. Après Delhi, je suis allé à Amritsar à la frontière avec le Pakistan avant de revenir sur mes pas. En Inde, j’ai découvert les difficultés sociales auxquelles sont confrontés les rickshaw wallahs. Après plusieurs voyages, c’est une autre Inde que j’ai découvert car j’étais assimilé à un conducteur de rickshaw ou à un étranger qui venait les “titiller” sur leur vision du rickshaw wallah. Tant et si bien que j’étais “grillé”, dans les hôtels notamment, qui soudainement étaient “full” (complets). Comme ce jour où, apprenant par un tiers que je voyageais à rickshaw, et alors même que nous négocions le prix de la chambre, un patron d’hôtel m’a refoulé ! On me reconnaissait parfois à mon costume de rickshaw-wallah conseillé par Mustafa : un lungi, vêtement porté autour de la taille ressemblant à une jupe, et des sandales. Au Bangladesh, nous nous sommes fait chasser avec Mustafa d’une devanture d’hôtel à coup de jets d’eau ! Une autre fois, un homme m’a invité chez lui, puis réalisant que j’étais conducteur de rickshaw, il a prétexté une toute nouvelle loi interdisant l’accueil des étrangers chez soi pour me dire que je ne pouvais plus dormir chez lui ! Je n’avais jamais vécu ça avant d’être dans la peau d’un rickshaw wallah !
Est-ce que les difficultés des rickshaw wallah sont liées à un problème de caste ?
Rickshaw wallah est un métier mais pas une caste. Ils sont considérés comme des “sous fifres”, des ignorants, des incultes… Un client n’appellera jamais un rickshaw-wallah par son prénom même s’il le connaît… Ils sont tellement méprisés que même d’accord au départ sur le prix de la course, le client paie parfois moins à l’arrivée! Le rickshaw wallah n’a rien à redire car bien souvent il n’est pas en règle (beaucoup de licences sont illégales) et même s’il l’est, la police ne lui donnera jamais raison. Au Bangladesh, les conducteurs sont très remontés contre cette situation, ce qui est moins le cas en Inde où ils le prennent peut-être comme une fatalité !
Quelles relations ont les employés avec leur patron ?
J’ai été très surpris par le rapport quasiment amical que les conducteurs de rickshaw pouvaient avoir avec leur patron. Ils l’apprécient car c’est celui qui d’abord leur donne le moyen de travailler. Au Bangladesh, seulement 10% d’entre eux sont propriétaires de leur rickshaw. Pour les rickshaw wallahs, se projeter dans l’avenir et mettre de l’argent de côté pour s’acheter un rickshaw, c’est très compliqué !
A Dhaka, le boss de la compagnie où j’étais, possédait une centaine de rickshaws qu’il loue 1 € environ au conducteur, qui lui ne gagne que 3 à 4 euros par jour. Chaque soir donc, le boss a 100 € en poche ! Pour avoir un ordre de prix, je payais ma chambre 1 € dans Old Dhaka derrière l’embarcadère, dans un hôtel simple mais un hôtel…
As-tu parlé de l’évolution du métier avec des conducteurs ?
Ce qui revenait, c’est le thème de la pollution qui s’aggravait me disaient-ils. Avec ça “en plus”, leur espérance de vie est parmi les plus courtes. Certains ont commencé très jeune. J’en ai rencontré un qui avait commencé à 10 ans. J’ai pu constater à Dhaka que les rickshaw wallahs étaient très souvent malades et donc absents au boulot… Grâce à la présence d’un traducteur de l’Alliance française, j’ai pu en interviewer. L’un d’entre eux nous disait qu’il avait commencé à pédaler à 20 ans pour payer une dette qu’il avait hérité de sa famille… Paysan à l’origine, il était venu à Dhaka pour mieux gagner sa vie. Au début, il travaillait tous les jours mais maintenant qu’il a 35 ans, il ne travaille plus que 3 ou 4 jours par semaine car il très souvent malade et fatigué…
Quelle est la place des rickshaws au Bangladesh ?
Au Bangladesh, le rickshaw est LE moyen de transport par excellence : tu en trouves à toute heure du jour et de la nuit. Son avantage est qu’il va partout et qu’il n’est pas cher. Leur nombre reste exponentiel malgré le fait que le nombre de licences ait été bloqué. Les rickshaws sont interdits sur certaines grandes avenues pour ne pas ralentir la circulation mais ils sont incontournables pour les petites rues parallèles. On parle de 500 000 rickshaws sur Dhaka, de 14% de la population du pays qui vit indirectement du rickshaw. Entre le fabricant, le mécanicien, le peintre, le conducteur, le propriétaire, ça fait en gros 20 millions de personnes qui en vivent ! En 2005, on parlait de 2 millions de chauffeurs de rickshaw au Bangladesh !
En Inde, malgré le modernisme, le rickshaw reste d’actualité et vit avec la modernité. Il y a même au Punjab une application smartphone qui permet de réserver une course ou de voir où est tel ou tel conducteur ! Côté matériel, on a gagné sur le poids et sur l’ergonomie, mais si surprenant que cela puisse être, les nouveaux rickshaws n’ont pas de vitesses. Tous ceux qui ont essayé de développer ça n’ont pas eu de résultats probants et se sont cassés les dents.
Justement, tu travailles sur cette piste de vitesses pour les rickshaws ?
Oui. J’ai rencontré lors d’un festival Adrien, un ingénieur-mécanicien. Je lui avais expliqué ma problématique et il m’a recontacté avec des pistes d’industriels et d’associations qui pourraient m’aider dans mon projet. En parallèle, j’ai eu la chance de rencontrer lors de mon second voyage au Bangladesh Rob Gallagher qui a écrit LE livre référence sur les rickshaws (« Rickshaws of Bangladesh » en 1992).
Nous sommes donc en train de créer une association pour fédérer des partenaires et travailler sur la conception d’un système de vitesses adaptés aux rickshaws. Le traditionnel “multi-vitesses” avec dérailleur n’est pas probant car les vitesses sautent toujours à cause de la trop grande longueur de chaîne et du mauvais état des routes. Les conducteurs ne peuvent pas passer leur temps à régler un dérailleur et puis ils ont un autre rapport avec le matériel : ça doit être simple et marcher ! Bref, il faut trouver autre chose.
Dans les années 70, Stuart Wilson un anglais, a inventé et conçu un nouveau rickshaw destiné initialement au marché indien avec des améliorations portant sur la transmission et l’ergonomie. Mais il n’a jamais vu le jour en Inde ! Il a en revanche grandement inspiré les premiers vélo-taxis apparus quelques années plus tard en occident. L’obstacle principal a été culturel et l’absence de concertations avec les acteurs locaux concernés, ce qui montre bien la difficulté de remettre en cause l’existant dans ces pays. Le fait d’améliorer les conditions de travail et de vie des rickshaw wallah, une population méprisée, n’est pas une motivation et une finalité pour les fabricants… !
Nous ne voulons pas proposer une usine à gaz comme solution technique mais quelque chose de très simple et qui s’adapte sur l’existant. La difficulté sera de s’ancrer dans la réalité des compagnies de rickshaws. Nous commencerons par Dhaka car c’est là que nous avons, Rob et moi, le plus de connaissances et de contacts.
Notre projet est de solutionner principalement la difficulté au démarrage. Pour lancer un rickshaw, les conducteurs doivent se mettre en danseuse, se cambrer, se contorsionner… Leur transmission n’est pas adaptée.
Si on met en place des rickshaws complètement différents, on fout en l’air toute l’économie locale : l’artisan du quartier qui soude le châssis, le fabriquant d’arceaux de la capote, le mistry (mécanicien) qui assemble le tout, l’artiste peintre qui décore le rickshaw (au Bangladesh, le rickshaw est le support d’un art populaire traditionnel)… Même les ONG que je connais et qui travaillent en soutien des rickshaw wallah, ne se penchent jamais sur les difficultés à conduire l’engin lui-même car pour ne pas avoir eux-mêmes pédalé un rickshaw, ils ne les appréhendent même pas ! Je les ai relancées plusieurs fois sur le sujet mais ils ne m’ont jamais répondu, sans doute parce que cette problématique “matérielle” les dépasse…
Dans notre projet, on a déjà sensibilisé et embarqué des entreprises, un IUT génie mécanique, une école d’ingénieur, une ONG bangladaise, ainsi que quelques contacts privilégiés tels que le cyclo-voyageur Claude Marthaler. Mais nous savons que la route reste longue…
Aller plus loin
Jean-Louis Massard est l’auteur du livre Bangladesh Rickshaw, paru aux Éditions les 2 encres. Vous pouvez le commander en librairie ou en envoyant un mail à l’auteur jl_73@hotmail.fr
Lien vers ses images :
– expo photo rickshaw wallahs
– Diaporama de son voyage
Et enfin pour écouter une émission radio le concernant : cliquer ici
Site internet de son association
www.rickshaw-impulse.com